Pourquoi les médecins ont besoin d’une formation en management
Lisa S. Rotenstein, MDRaffaella Sadun & Anupam B. Jena
17 OCTOBRE 2018
Harvard Business Journal
Qui dit médecine dit leadership. En effet, presque tous les médecins assumeront des responsabilités importantes au cours de leur carrière en termes de leadership. Mais contrairement à toute autre profession où les compétences en management sont mises en avant, les médecins ne reçoivent aucune formation en la matière et ne sont pas non plus récompensés quand leur management est de qualité.
Même si les institutions de soins ont désigné le « leadership » comme une aptitude médicale essentielle, les compétences en leadership sont rarement enseignées et renforcées dans le continuum de la formation médicale. Comme de plus en plus de preuves démontrent que les capacités en leadership et les bonnes pratiques de management influencent de manière positive non seulement le bien-être des patients mais aussi le résultat des organisations de soins de santé, il est devenu évident que les formations en leadership doivent être formellement intégrées aux programmes de formation des médecins comme des internes.
Dans la plupart des professions, les personnes qui démontrent le plus de compétences en leadership sont celles qui assurent le plus de responsabilités managériales au cours de leur carrière. Dans le secteur médical par contre, non seulement les médecins commencent à diriger des équipes très tôt dans leur carrière, mais en plus ils gravissent les échelons de manière quasi automatique.
Au cours de leurs premières années d’études, les médecins, quelques soient leurs spécialités dirigent des internes plus jeunes ainsi que d’autres soignants et ce sans aucune formation spécifique ni expérience dans le management d’équipes. Il est extrêmement rare que les internes de première année ne deviennent pas internes de deuxième année, les internes de deuxième année, internes de troisième année et que les internes ne deviennent pas médecins ou maîtres de stage alors que chacune de ces étapes nécessite de plus en plus de compétence managériale. Et ces compétences en leadership et en management ne devront que croître au cours de leur carrière.
Alors que les étudiants en médecine passent des années à étudier la physiologie, l’anatomie et la biochimie, il n’existe que peu de possibilités qui permettent aux étudiants d’acquérir les compétences de base en leadership, comme la direction d’équipe, la gestion des collaborateurs, le coaching et l’accompagnement des autres ou encore la résolution des conflits.
Il existe cependant des formations et des cours spécifiques pour les médecins intéressés par le management, mais ces trajets sont destinés à ceux qui ambitionnent clairement des postes de gestionnaire de projets ou même de direction lors de leur formation. On oublie un peu vite qu’être médecin c’est manager. Le nombre de médecins devant faire preuve de compétences en leadership au quotidien est largement plus élevé que ceux pour qui le management est clairement inscrit dans leur plan de carrière.
Malgré ce manque d’attention porté au développement des capacités de leadership des médecins en formation, il est quand même actuellement prouvé que ce déficit en management affecte non seulement les patients mais également les résultats du système de santé tant en termes d’efficacité qu’en termes financier. Il a été par exemple, prouvé que les hôpitaux qui mettaient en œuvre de bonnes pratiques managériales, et ce plus particulièrement au sein de leur comité de direction, prodiguaient des soins de meilleure qualité et obtenaient de meilleurs résultats cliniques, en ce compris une plus faible mortalité.
Un lien a également été fait entre la mise en œuvre de bonnes pratiques managériales et la satisfaction des patients ainsi que l’amélioration des résultats financiers. Ce même management efficace affecte également le bien-être des médecins, avec comme conséquence directe une réduction du burnout et une plus grande satisfaction au travail.
Ces avantages sont cruciaux dans un environnement de soins de santé de plus en plus axé sur la mesure et la recherche d’une médecine de qualité, qui demande aux praticiens de diriger des équipes multidisciplinaires de plus en plus importantes, composées à la fois d’infirmières, de travailleurs sociaux, de stagiaires et d’autres paramédicaux.
Les facultés de médecine et les programmes de stage devraient inclure dans leurs programmes d’études le développement des compétences managériales, et ce à tous les stades de la formation, de manière aussi rigoureuse que l’est le développement du raisonnement clinique ou des compétences médicales. Les formations en management doivent se concentrer sur deux grands axes de compétences clés. Primo, la communication interpersonnelle, qui est cruciale pour un management efficace dans les soins de santé modernes. Cela inclut à la fois des capacités à coordonner efficacement des équipes mais également des aptitudes au coaching à la capacité à donner du feedback, sans oublier la communication interpersonnelle et l’intelligence émotionnelle. L’importance de ces compétences a été reconnue par plusieurs associations et organismes, notamment l’American Medical Association, le National Health Service ou encore le Canadian College of Health Leaders.
Secundo, il faut aussi des compétences en termes de compréhension des systèmes de soins. Dans le monde de la santé d’aujourd’hui, les médecins doivent comprendre le business des établissements de santé, en ce compris des concepts tels que la structure des coûts et les principes d’assurabilité auxquels les patients sont confrontés. Les médecins doivent également être de plus en plus aptes à comprendre et à appliquer les principes de qualité et de sécurité afin d’améliorer les systèmes actuels en place. Enfin, compte tenu de la nature même de leur travail, les médecins doivent être familiarisés avec tout ce qui touche aux évènements indésirables : leur reconnaissance, leur divulgation mais également la résolution de ceux-ci et, en sus, faire partager ces préoccupations avec leurs équipes.
Ces différents sujets devraient être traités lors des études médecine par le biais de séances d’orientation et de séminaires de perfectionnement comme c’est les cas dans les autres professions nécessitant des qualités managériales. Une bonne partie de l’enseignement de ces matières devrait être dispensée au cours des différentes années d’étude. Cette approche est d’autant plus importante, qu’au fur et à mesure que les internes progressent et prennent dès lors de plus en plus de responsabilités (en supervisant eux-mêmes d’autres étudiants en médecine ou même des équipes sur le terrain comme interne débutants), ils doivent être capables de faire preuve de compétences managériales pour être acteur du changement.
Les étudiants doivent être explicitement évalués sur leurs capacités en termes de management, avec une possibilité de remédiation ciblée pour ceux qui n’atteindraient pas le niveau de compétence attendu. Les étudiants, comme les internes, ne devraient pas être autorisés à progresser dans leur formation sans atteindre un niveau de compétence prédéterminée dans ces domaines. Des systèmes d’évaluation objectifs doivent également être mis en place afin d’éviter toute forme de discrimination à l’égard des femmes et des minorités sur leur capacités managériales. Et surtout, des évaluations s’inscrivant dans la durée seront nécessaires pour analyser de manière rigoureuse l’efficacité des programmes d’enseignement en matière de management. En effet, un examen systématique, réalisé en 2015, des programmes de leadership à destination des médecins, a révélé que peu d’entre eux avaient un réel impact au niveau du système (c’est-à-dire que l’impact de la formation sur les indicateurs de qualité est quasi inexistant)
Ces changements peuvent sembler bien difficiles à mettre en œuvre au vu de la quantité de matière à laquelle les étudiants sont déjà confrontés et du peu de temps dont ils disposent encore. Des études ont cependant montré que les internes souhaitent très clairement développer leurs compétences en management. Et plusieurs programmes sortent du lot et peuvent servir d’exemple sur la manière dont ces formations peuvent être dispensées.
Pour la première fois, un article paru dans le Harvard Business Review en 2013 a décrit le programme mis en place par la Vanderbilt’s Otolaryngology. Il y a été développé un programme de quatre ans, copié sur la formation des officiers de la Navy, à destination des internes. Il comprend une formation à la prise de parole en public, un micro-cours de MBA et sa pierre angulaire est un projet en management. Ce programme, dispensé le matin ou sur l’heure du midi (lorsque les stagiaires sont hors des salles d’opération), confronte les étudiants à des thèmes aussi essentiels que la politique et le financement du système de santé, la résolution des conflits, l’importance de la check-list et du débriefing, sans oublier la prise de parole en public ou encore des simulations d’entretiens individuels. En fin de compte, les internes utilisent, lors d’une de leurs quatre années de formation, les compétences qu’ils ont acquises pour collaborer avec des étudiants de Vanderbilt mais aussi avec les médecins généralistes, ou tout autre personne impliquée dans le développement d’un projet de santé publique. Le Dr. Roland Eavey, fondateur du programme et titulaire de la chaire d’oto-rhino-laryngologie Vanderbilt, a déclaré qu’il était essentiel de fournir un contenu similaire à tous les professeurs et de donner toute son importance à l’enseignement du leadership afin de garantir la mise en place de méthodes de management efficaces.
Au même moment, à l’Uniformed Services University, les étudiants en médecine suivent un programme de quatre ans axé sur le développement des compétences managériales. Ce programme, appelé Military Medical Practice and Leadership, qui combine la pratique médicale et le management au sein de l’armée, est dispensé au cours des années précliniques et porte à la fois sur la connaissance de soi, les compétences en communication et la dynamique d’équipe. Par la suite, les étudiants participent à quatre stages de plusieurs jours sur le terrain, au cours desquelles ils découvrent à la fois leurs responsabilités en tant qu’officier mais suivent aussi des cours et des simulations axés sur les soins à donner aux patients et participent des opérations sur le terrain combinées à des gestions de crise. Ces étudiants de quatrième année en médecine sont finalement évalués non seulement sur leurs connaissances médicales mais aussi sur leurs capacités de management dans un environnement tactique. Bien que centré sur la formation médicale prédoctorale, ce programme se distingue par sa combinaison à la fois d’expériences didactiques et pratiques et par sa nature évaluative. Il pourrait être adapté aux contextes de formation médicale supérieure.
Il ne fait aucun doute que la formation des futurs médecins au management augmentera les coûts de la formation. Cependant, alors que nous cherchons continuellement à optimaliser aujourd’hui les traitements et les procédures pour réduire la mortalité et améliorer la qualité des soins, nous devrions également chercher à optimaliser les compétences des praticiens appelés à gérer tous les aspects du système de santé. L’évidence prouve que cette formation en management a un impact direct sur les résultats en termes de soins de santé mais également sur la viabilité financière des établissements.
Les auteurs :
Lisa S. Rotenstein, MD, MBA, est médecin résident à l’hôpital Brigham and Women’s et chercheuse clinique à la Harvard Medical School. Elle est également co-fondatrice de l’entreprise sociale CareZooming, qui permet aux médecins d’améliorer les systèmes dans lesquels ils travaillent.
Raffaella Sadun est professeure associée en administration des affaires Thomas S. Murphy à la Harvard Business School, où elle étudie les aspects économiques de la productivité, de l’organisation, des pratiques de gestion et des technologies de l’information.
Anupam B. Jena est professeure associée Ruth L. Newhouse en politique des soins de santé à la Harvard Medical School, interniste au Massachusetts General Hospital et chargée de recherche au sein du National Bureau of Economic Research.